Yoko KUME
artiste peintre
Pratique des arts 2018
PDA HS Nostalgie
Texte : Audrey Higelin
Portrait, 4 pages
Chapo
Vue i y a 11 ans
Entretien :
Pratique des Arts : Avec le recul, qu'est-ce que cette période écoulée, et plus généralement votre vie d'artiste vous ont apporté ?
Yoko Kume : La première fois que vous êtes venus me voir, je vivais et travaillais déjà à Chatou, dans le même atelier. J’étais déjà artiste professionnelle, j’ai commencé à peindre dans les années 1980. J’ai fait les Beaux-Arts au Japon, puis les Beaux-Arts de Paris en France : ce fut un parcours long mais intense et particulièrement riche. Dans l‘article qui m’a été consacré par votre journal, j’étais contente de partager ma technique et ma pratique. Artiste peut être un métier assez solitaire, c’est très important pour moi d’aider à la création des autres. D’ailleurs à cet égard j’enseigne à un public adulte depuis près de 20 ans. Je donne dans un premier temps des conseils techniques basiques, puis, quand l’élève devient autonome, je donne des conseils plus créatifs.
Pratique des Arts : Pourquoi avoir choisi la France, pays dans lequel vous êtes restée vous établir ?
Yoko Kume : Après mes quatre années d’études au Japon, je pensais partir aux Etats-Unis, mais entre temps je voulais visiter la France et d’autres pays européens afin de parfaire ma culture en peinture, notamment concernant le médium à l’huile, que j’étudiais au Japon. Je suis tombée éperdument amoureuse de la France. Je pensais y faire deux ans d’études et partir aux Etats-Unis, ce qui était le premier projet. Mais j’ai rencontré un professeur aux Beaux-Arts de Paris qui m’a fait rester, et je n’ai cessé de prolonger mon séjour en France. Ça fait aujourd’hui 25 ans…
Pratique des Arts : Qu'est ce qui a changé pour vous depuis que nous nous sommes vus pour la première fois, il y a 11 ans ?
Yoko Kume : A cette époque je peignais des natures mortes. J’aimais beaucoup les vues intérieures. Depuis plusieurs années, je peins essentiellement des sujets qui ont trait à la nature. Des sujets plus « vivants ». C’est un grand changement thématique. Aujourd’hui je fais beaucoup plus d’expositions, qu’elles soient collectives ou personnelles. Je travaille davantage avec le Japon aujourd’hui. Je suis arrivée à un moment de ma vie où je suis plus en harmonie avec moi-même, moins de doute.
Pratique des Arts : En 2007, vous déclariez : « Je dirais que je suis parvenue à réconcilier deux techniques qui appartiennent respectivement à ces deux cultures : la peinture à l’eau pour l’Orient et la peinture à l’huile pour l’Occident. Symboliquement parlant, la peinture à l’huile, par sa présence, sa densité et son éclat n’est autre que l’affirmation de l’individu alors que la peinture à l’eau, légère et évanescente a tendance à se rapprocher de l’idée de communauté. Dans mon travail, j’ai cherché l’équilibre entre les deux, la légèreté et la transparence de la tempera ou de l’aquarelle est toujours contrebalancée par la vivacité et l’opacité de la couleur à l’huile. L’emploi des deux techniques conjuguées influence mon attitude même en peinture : l’une m’aide à prendre du recul, à me ressourcer à mes origines tandis que l’autre affirme dans chacun de mes tableaux, ma présence et ma personnalité. » Qu’est-ce qui a changé, techniquement, ces 11 dernières années ?
Yoko Kume : Aujourd’hui j’ai plus de moyens techniques pour satisfaire mes attentes en peinture. Je peux mener mes projets à bien avec moins de difficultés qu’avant. Je suis plus exigeante qu’avant, mais j’arrive à répondre à mes exigences. Avec l’âge, on devient aussi plus conscient de sa capacité. Ça rend à la fois plus serein et plus modeste. J’accepte mieux les remarques et les éventuelles critiques. Je me suis rendue compte que l’essentiel n’était pas là. Il est pour rependre à la exigence créative. Il y a aussi eu un grand changement technique, fondamental dans ma peinture : aujourd’hui je ne peins pratiquement plus à l’huile, mais quasi-exclusivement à l’eau. Je me rapproche plus de mes origines japonaises en termes de matière et de technique. Le résultat, d’un point de vue créatif, est celui d’une japonaise qui vit en France. Mes toiles sont toujours une tentative de conciliation des deux cultures. Ce que je garde du Japon : C’est un problème identitaire qui m’a beaucoup questionnée, mais finalement, quel que soit le pays dans lequel on vit, notre identité ne change pas. L’identité, pour moi, ce n’est pas quelque chose d’extérieur. Aujourd’hui, vivant en France, je me sens un peu extérieure à ce qui se passe au Japon, et je maîtrise éventuellement la langue avec moins de subtilité, puisque je la parle moins souvent. Mais malgré tout, ce qui est essentiel inchangé.
Pratique des Arts : Un changement thématique accompagne-t-il ce changement technique ?
Yoko Kume : Aujourd’hui j’aime beaucoup travailler avec les fleurs. Depuis quelques temps, je m’intéresse aux fleurs que je trouve en ville, sur la route ou dans les jardins, et aux fleurs coupées ; mon inspiration est finalement très urbaine en ce moment. Je suis un fil conducteur qui m’anime depuis longtemps : la vie quotidienne. Mais mon sujet s’est déplacé vers un univers plus naturel et plus extérieure. Aujourd’hui mes sujets sont très éphémères mais ils sont très vivants. Je choisis les sujets les plus naturels possibles.
Les natures mortes sont préalablement composées, ce sont des sujets moins chaotiques que les sujets naturels, qui demandent plus de capacité d’adaptation et d’imagination.
Pratique des Arts : Si vous deviez changer quelque chose de ce qui s’est passé ces 11 dernières années ?
Yoko Kume : Je consacrerais plus temps à ma peinture (à enlever). Aujourd’hui je consacre de plus en plus de temps à ma peinture. C’est une question de volonté de trouver le temps, la vie est assez chargée, il est nécessaire de choisir ce que l’on souhaite faire et de consacrer son temps pour réaliser son rêve. Depuis 11 ans, j’ai aussi de nouvelles collaborations avec des galeries, ma vie d’artiste s’est stabilisée. Si je pouvais m’adresser un conseil à moi-même, ce serait de croire en sa capacité et en son inspiration, de n’avoir pas peur de dévoiler soi-même. Quand on est jeune, on a beaucoup de doutes, on a plus de difficultés d’accepter soi-même. Pour être artiste il faut être libre par rapport à soi et au regard des autres, parce que la création doit se faire en toute liberté. Quand on est jeune, on travaille davantage pour répondre le regard des autres, ou pour plaire (à enlever), que pour la valeur de son travail. Les peintres que j’apprécie, comme par exemple Bonnard, Rothko ont un univers à eux, leur travail est unique et très libre. C’est ce vers quoi il faut tendre : cultiver un travail personnel et s’y tenir. Un artiste doit être singulier, et transmettre quelque chose d’unique.
Pratique des Arts : Quel est votre plus grand succès ces dernières années ?
Yoko Kume : Cette année, j’ai exposé à Nagano, dans la nature, au milieu de la montagne, site qui convient bien à ma peinture. J’ai vu des visiteurs rester longtemps assis devant ma peinture, à regarder et à contempler tranquillement. Cela m’a beaucoup touchée, parce que ça signifie que ma peinture leur a parlé. Ils avaient l’air contents d’être devant les tableaux. C’est ce que je pense de la peinture, elle doit permettre de communiquer avec les autres. Le but de ma peinture, c’est de partager mon émotion. Si les spectateurs ressentent quelque chose grâce à ma peinture, c’est pour moi une grande réussite.
Pratique des Arts : Vos projets pour l’avenir ?
Yoko Kume : J’aimerais bien exposer plus régulièrement en France. J’habite en France depuis 30 ans, et j’ai quitté la Japon à 22 ans, je me sens aujourd’hui plus proche de la France. J’aimerais bien faire des échanges avec d’autres pays aussi. Cela s’est déjà produit avec la Thaïlande, l’Angleterre, et c’était des expériences enrichissantes.
Encadré : Le conseil de 2018 : Même si le débutant n’aime pas dessiner, il doit acquérir des bases solides. C’est un apprentissage à faire en parallèle avec celui de la peinture. Maîtriser la technique permet de gagner en liberté. Un peu de dessin suffit : 15 minutes par jour par exemple.
Le matériel en 2018 [photo du matériel] : Il y a eu un grand changement. Aujourd’hui je peins principalement à l’eau. J’utilise de la peinture Flashe (peinture vinylique) de chez Lefranc et Bourgeois, que je mélange avec de la Golden (peinture acrylique) . La Flashe est plutôt mate, alors que la Golden est satinée.
Pendant longtemps, je commençais mes toiles avec de la peinture à l’eau, et finissais à l’huile. J’ai eu un jour des allergies et ai arrêté la peinture à l’huile. J’ai donc fait de l’aquarelle sur papier pendant 10 ans, puis ai eu envie de revenir sur la toile. C’est là que j’ai adopté la combinaison Flashe/Peinture acrylique. J’utilise des toiles de coton très fin de chez Marin avec une préparation qui convient à ma peinture très liquide : deux couches d’enduit (toile très absorbant). J’aime assez les pinceaux Raphaël en martre, les Daler-Rowney « Expression » pour les synthétiques. Comme je fais des choses très détaillées, j’aime les pinceaux très fins et très solides. Je me fournis aussi de pinceaux japonais très souples et subtiles que je commande au Japon.
Encadré : Tableau à la loupe
« Figure intemporelle, 116x81 cm, tempera Flashe sur toile, 2014 » (photo du même nom)
J’ai toujours essayé d’associer mes deux cultures, entre Orient et Occident. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, je le faisais à travers deux techniques différentes : la peinture à l’eau pour l’Orient, la peinture à l’huile pour l’Occident. Je commençais à l’eau, puis utilisais l’huile pour avoir plus de matière et de transparence. Dans ce tableau, exclusivement réalisé à la peinture à l’eau, on voit un changement technique majeur : mon abandon de l’huile. Il a été réalisé uniquement en tempera à la Flashe, qui nécessite un travail technique différent. Les fleurs demandent plus de subtilité de nuances. Pour cela j’emploie des couches successives de glacis de couleurs différentes. On voit dans cette toile ce que j’essaye de mettre en valeur de ma culture orientale par le rendu vaporeux et reveux de mon sujet, qui oppose et mettre en valeur ces rendus délicats néanmoins une présence assez forte et affirmée quelques fleurs et des feuilles de Camélia, qui est du ressort de l’influence de ma vie en France. Pour réaliser plus de présence au sujet, j’utilise plus de matière, plus de contrastes et plus de détails. Mes peintures restent une synthèse des deux cultures. Cette toile est en coton fin, très absorbant, qui s’accorde bien à ma nouvelle technique de la peinture à l’eau. J’utilise des pinceaux, mais aussi plus volontiers des couteaux depuis quelques années, afin d’enrichir la matière picturale.